Zola et l'Affaire Dreyfus
par Nelly Wilson (Université de Bristol - Retraitée)
(translation into English to come)
Lorsqu'on pense à l'engagement passionné de Zola dans l'une des plus grandes batailles jamais livrées pour la justice, l'image qui vient le plus souvent à l'esprit est celle de l'auteur de " J'accuse ", tel un héros chevaleresque, se lançant immédiatement et instinctivement à la défense d'un innocent. La réalité est plus complexe, mais aussi plus intéressante. Il nous semble que le rôle de Zola dans l'Affaire a été tout à la fois surestimé et sous-estimé. Surestimé sur le plan juridique et sur le plan historique immédiat: après tout, la publication de " J'accuse " ne représente ni le début de l'Affaire, ni la fin. A vrai dire, il est fort probable que le capitaine Dreyfus serait mort sur l'île du Diable, si les arguments en sa défense avaient reposé uniquement ou principalement sur les preuves et les raisonnements avancés dans cette célèbre lettre de protestation. Par contre, dans un sens historique plus général et plus profond, le rôle joué par Zola a été sous-estimé, car, sans la compréhension qu'il a eue de la crise morale et politique sous-jacente, et sans le courage dont il a fait preuve en y attirant l'attention du public, l'Affaire aurait très bien pu rester un cas isolé d'injustice, un parmi tant d'autres, au lieu de devenir un mythe dans le sens positif et vital du terme.
Examinons d'abord ce qui a été surestimé. Il est évident que Zola est entré dans la bataille relativement tard, son premier article dreyfusard datant du 25 novembre 1897 (" M. Scheurer-Kestner "). à ce moment-là, l'Affaire était déjà bien avancée: Dreyfus avait été arrêté, jugé et condamné trois ans auparavant, le spectacle atroce de la dégradation publique (5 janvier 1895) et l'hystérie collective sans précédent qu'elle avait suscitée étaient déjà loin, tout comme la violente campagne de presse inspirée par les événements. Il y avait plus de deux ans et demi que le capitaine Dreyfus se trouvait dans son lieu de déportation, lorsque les nuits de Zola ont commencé à être hantées, comme il devait le rappeler plus tard, "par le spectre de l'innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu'il n'a pas commis (2)".
Cela dit, il faut insister sur le fait que la plupart des partisans de la révision ont été, comme Zola, lents à prendre position. La véritable naissance du mouvement dreyfusard a été postérieure à " J'accuse ", et elle en a été, dans une large mesure, la conséquence. Pourtant, dès le début de l'Affaire, il existait un petit nombre de consciences angoissées. C'est Forzinetti, le directeur de la prison du Cherche-Midi, qui a été le premier à s'interroger, lorsque les démarches irrégulières et secrètes des autorités lui ont paru suspectes. Selon les ordres confidentiels qu'il avait reçus, le prisonnier devait être incarcéré dans des conditions anormales, étant donné que sa culpabilité restait à prouver. Plus suspect encore était le traitement exceptionnel réservé à l'accusé par le commandant du Paty de Clam, l'enquêteur militaire qui s'était constitué accusateur et bourreau psychologique. Forzinetti a fait preuve d'une grande témérité, lorsque, sans tenir compte de sa situation personnelle, il a accepté de témoigner en faveur du prisonnier. Ce témoignage devait avoir un impact moral considérable, sur Zola en particulier. A côté d'une poignée d'hommes également troublés par ce qu'ils savaient, mais qui hésitaient à briser le sceau du secret professionnel (Demange, l'avocat de Dreyfus; Picquart), il existait des gens, plus nombreux qu'on ne le croit généralement, qui doutaient en silence. Leur impuissance, due surtout à l'absence d'informations, les tourmentait autant que leurs doutes. " Combien je regrette aujourd'hui de n'avoir pas tout de suite déclaré [...] ces doutes qui m'avaient causé de quotidiennes insomnies ! (3)", écrivait l'historien Gabriel Monod, dont le supplice mental s'était prolongé trois ans durant. Péguy, alors étudiant, a éprouvé des tourments semblables : c'était le lot des dreyfusards de la première heure (4). Après des mois entiers passés à analyser minutieusement articles de journaux et communiqués officiels, à se sentir déchiré entre le désir de voir ses doutes confirmés et celui de les voir dissipés, "J'accuse" a été pour lui un formidable choc, ainsi qu'un soulagement. La bataille publique pouvait commencer (5).
De son propre aveu, Zola n'a pas ressenti, au début des événements, de tels doutes, un tel conflit intérieur, de telles angoisses. Au reste, quand il a obtenu des renseignements précis, en 1896, sous la forme de la brochure rédigée par Bernard-Lazare, il n'a pas réagi, bien que ce texte ait, par la suite, largement nourri " J'accuse ". La brochure incendiaire, ironiquement intitulée Une erreur judiciaire. La Vérité sur l'Affaire Dreyfus - ironiquement, puisque l'auteur y concluait sans ambages qu'il ne s'agissait pas seulement d'une erreur judiciaire -, a paru le 6 novembre 1896. Bernard-Lazare avait pu consulter des documents jusque-là ignorés du public, qui lui avaient été communiqués par Mathieu Dreyfus, le frère du déporté, et parmi lesquels se trouvait le texte intégral du fameux bordereau. Il donnait le premier historique cohérent et relativement bien documenté de l'Affaire, le premier " J'accuse " aussi, et il présentait, entre autres, le témoignage accablant de Forzinetti, au sujet des interrogatoires de du Paty de Clam. Bernard-Lazare avait fait parvenir à Zola un exemplaire de sa brochure, et il était allé le voir ensuite, dans l'espoir de discuter avec lui des très graves accusations qui y étaient portées. Il a découvert que l'écrivain n'avait pas lu son texte, qu'il savait peu de choses sur l'Affaire et qu'il ne s'y intéressait pas.
L'indifférence polie manifestée par Zola était quelque peu exceptionnelle, à côté de l'incrédulité, l'hostilité et parfois même la sympathie exprimées par d'autres personnalités à qui Bernard-Lazare avait envoyé sa brochure, mais sa réaction n'a pas étonné outre mesure l'auteur. Il lui semblait qu'à cette époque (Esterhazy et Picquart n'étaient pas encore entrés en scène) l'Affaire était trop abstraite pour frapper l'imagination du romancier; le drame - ou le mélodrame - restait inachevé. Il n'y avait ni traître ni héros, et, sans ces personnages, Zola n'arrivait pas à voir l'innocence de Dreyfus. Il y a beaucoup à dire en faveur de cette explication, et elle est appuyée par les faits. A l'automne de 1897, au moment où Zola est entré dans la bataille, Esterhazy, Picquart et Scheurer-Kestner avaient assumé leur rôle public; le romancier professionnel a été frappé surtout par le " drame poignant " aux " personnages superbes ". De son propre aveu, "la pitié, la foi, la passion de la vérité et de la justice sont venues ensuite (6)". Il existe cependant une autre explication, que Zola a proposée lui-même. Au début de l'Affaire, du 29 octobre à la mi-décembre 1894, il se trouvait en Italie, où il se documentait pour le deuxième roman de la série des Trois Villes, et il a attribué à son absence de Paris " l'état d'ignorance, la sorte d'indifférence (7)" où il était longtemps resté au sujet de la crise. On est en droit de trouver l'explication curieuse, d'y voir une justification rétrospective: une absence de six semaines suivie de trois ans d'indifférence. Qu'est-ce qui l'empêchait, en effet, de se remettre au courant de l'actualité à son retour d'Italie ? La vérité est que, pour Zola, l'homme et l'écrivain, se remettre au courant de l'actualité n'était pas la même chose que de la vivre en direct, en tant que témoin: il avait besoin d'être sur place, de tout voir pour lui-même.
Le romancier avait manqué, en effet, la période décisive entre l'annonce de l'arrestation et le début du procès, période marquée par une campagne de presse extraordinairement violente, une véritable campagne de terreur et de haine sans doute unique dans l'histoire de la presse libre. Non seulement Dreyfus a été vilipendé, jugé et condamné par les journaux et l'opinion publique bien avant son procès, mais les chefs politiques et militaires ont été amenés par ces événements à parler ou à agir d'une telle façon qu'il leur est devenu difficile par la suite de se rétracter, sous peine de perdre la face. Le comportement du général Mercier, alors ministre de la Guerre, en constitue un bon exemple, Au début, les journaux nationalistes et antisémites (notamment La Libre Parole de Drumont et L'Intransigeant de Rochefort) l'ont couvert d'injures, l'accusant de tous les crimes imaginables : d'avoir accéléré l'avancement de Dreyfus, d'être à la solde du "syndicat", d'être prêt à dissimuler les preuves afin que les crimes du traître ne soient jamais découverts. Après quelques semaines, Mercier a capitulé : il a déclaré publiquement, dans Le Figaro du 28 novembre 1894, avant même que l'enquête officielle ne soit terminée, qu'il existait des preuves accablantes de la culpabilité de l'accusé. On aurait pu s'attendre à ce que ce verdict, rendu avant le procès par la plus haute autorité militaire du pays, soulève des protestations. Quelques-uns, en effet, ont été troublés (Emile Duclaux et Yves Guyot, par exemple) ; mais peu d'entre eux ont osé protester publiquement. Et nous trouvons là un autre moyen de pression, tout aussi efficace: l'opinion libérale se taisait, on avait peur d'être dénoncé comme membre du syndicat. Zola a fini par comprendre à quoi servait la légende du syndicat; il y a consacré un brillant article satirique (Le Figaro, 1er décembre 1897), où il s'engageait à y adhérer, si jamais l'association venait à être créée. Il s'est rendu aussi pleinement compte du rôle joué par "la presse immonde", où il succédait à Dreyfus dans le rôle du monstre (rôle qui convenait parfaitement au fils d'un immigré italien!). Mais il n'avait pas vu ces forces à l'?uvre, créant l'Affaire.
L'absence physique, en effet, a privé Zola d'une expérience percutante et révélatrice, mais il faut tenir compte aussi d'une sorte d'absence mentale de la part d'un écrivain trop occupé ailleurs, trop absorbé par son métier. Après tout, il était revenu à Paris vers le milieu de décembre 1894, à temps pour entendre et lire le virulent témoignage de Léon Daudet sur la plus féroce manifestation collective de l'Affaire: la dégradation publique de Dreyfus, avec la foule rassemblée autour de l'école militaire qui hurlait "mort aux Juifs" et "Judas traître", cris qu'on n'avait pas entendus depuis des siècles. La réaction de Zola devant ce récit (8), telle qu'on l'a décrite, est intéressante: il a excité chez l'homme une profonde compassion, tandis que le romancier comptait utiliser la scène éventuellement dans un de ses romans à venir. Zola était totalement, et instinctivement, opposé à la sauvagerie de la foule contre un individu sans défense, même si celui-ci était cent fois coupable. S'il avait réfléchi à la question de la culpabilité de Dreyfus, ou s'il s'était simplement interrogé sur le mobile supposé de son crime, il ne se serait peut-être pas contenté d'entreposer tranquillement l'épisode dans sa boîte à idées d'écrivain. L'apparente absence d'un mobile a fait naître le doute chez Gabriel Monod, Bernard-Lazare et Scheurer-Kestner, par exemple, qui connaissaient, à des degrés différents, le patriotisme, pour ne pas dire le chauvinisme, des Juifs alsaciens-français. Le mobile ne pouvait guère être l'argent, étant donné la fortune considérable que possédait la famille Dreyfus. Le capitaine était lui-même un homme riche. Aurait-il pris le risque de compromettre sa carrière militaire à laquelle il semblait particulièrement attaché, selon le témoignage de tous, pour se faire un peu d'argent de poche en s'engageant dans l'espionnage? Et si l'on écartait les mobiles psychologique, idéologique et matériel, quel autre mobile pouvait justifier le crime ? La presse avait, bien sûr, la réponse : Judas. Il est vrai, en effet, que Zola avait été absent de Paris à l'époque où l'on parlait de tout cela dans les journaux. Mais c'est sans doute l'absence mentale du romancier qui a été plus décisive : il était trop préoccupé par le monde imaginaire qu'il était en train de créer.
Il convient de noter à cet égard que dans la transposition rom anesque de l'Affaire, Vérité (1903), le héros, Marc, qui représente manifestement l'avatar idéalisé de Zola dreyfusard, fait exactement ce que le romancier n'avait pas fait au début des événements : vigilant, raisonneur, prêt à sacrifier ses ambitions professionnelles et sa tranquillité d'esprit, il commence par étudier les mobiles du crime épouvantable attribué à Simon/Dreyfus. Il est significatif que Marc ait l'avantage de connaître personnellement l'accusé, ce qui n'était pas le cas de Zola à l'égard de Dreyfus, mais il est tout aussi significatif que ni cette relation, ni la conviction morale que Simon est innocent n'empêchent Marc de se lancer dans une longue enquête méthodique et difficile. C'est seulement après s'être assuré qu'il n'existait aucun mobile rationnel (et que Simon était sain d'esprit) que Marc parvient à contrôler l'enquête, qu'il réussit à analyser objectivement les preuves indirectes sur lesquelles d'autres basent leurs affirmations. C'est aussi à ce moment-là que Marc/Zola se lance à la recherche du vrai criminel. En d'autres termes, le dreyfusard idéalisé n'a pas besoin de l'apparition d'Esterhazy-le-traître et de Picquart-le-vaillant-chevalier pour que l'innocence de la victime soit évidente. Voici un exemple parmi d'autres où le héros fictif pense et agit comme l'avaient fait d'autres dreyfusards, et comme Zola, rétrospectivement, aurait aimé le faire. Un élément d'autocritique accompagne l'idéalisation fictive.
Cela nous amène à l'épisode de "J'accuse", et au fait que Vérité ne contient aucune péripétie analogue, comme s'il s'agissait d'une erreur qu'il n'est pas permis au dreyfusard idéal de commettre." La pitié, la foi, la passion de la vérité et de la justice" qui ont inspiré la lettre ouverte ne sauraient être mises en question, tout comme le courage de ce que Jules Guesde a appelé " le plus grand acte révolutionnaire du siècle(9)" (bien que le marxiste ait refusé de se mettre à la remorque d'un écrivain bourgeois)."J'accuse" compte parmi les plus grands écrits de combat, un symbole du pouvoir du verbe quand celui-ci est prononcé par un homme en colère qui croit ce qu'il dit et sait comment le dire. Même si certains des protestataires jusqu'alors silencieux (notamment Scheurer-Kestner) ont désapprouvé le style provocateur et l'appel à la rue - tactiques de choc destinées à éveiller par le scandale la conscience du peuple -l'impact moral qu'a eu "J'accuse" sur l'opinion libérale dans son ensemble ne saurait être surestimé. Et les intellectuels qui ont signé les célèbres protestations organisées par L'Aurore ne forment qu'une partie des dreyfusards, car Zola recevait aussi des centaines de lettres rédigées par des inconnus, qui lui disaient leur émotion et lui apportaient leur soutien. En tant qu'expression de l'opinion publique, ces lettres, parfois extrêmement lyriques, peuvent paraître plus étonnantes que les lettres haineuses qui lui parvenaient également en grande quantité.
Le cri de l'auteur de "J'accuse" venait du coeur, et sa plume était une arme redoutable. Qu'en est-il des arguments présentés? Ici les choses sont moins nettes, à cause même de l'entrée en scène d'Esterhazy, traître protégé, et de Picquart, victime de machinations. A eux deux, ils ont compliqué énormément les données de l'Affaire de Dreyfus, ainsi que la question relativement simple et fondamentale qu'elle posait : est-ce que le capitaine avait été jugé équitablement, selon la loi? A cet égard, la soi-disant "communication secrète", c'est-à-dire la communication faite aux juges d'une pièce ignorée de l'accusé et de son avocat, était d'une importance capitale. Cette "irrégularité", ordonnée par le général Mercier et justifiée au nom de la raison d'Etat, avait été révélée grâce à une fuite officiellement inspirée par les autorités (les "révélations" de L'Eclair de septembre 1896): c'est ce qui avait permis à Bernard-Lazare de demander une enquête et un nouvel examen des preuves contre Dreyfus. "J'accuse", déplaçant le centre de gravité, a mis l'accent sur les agissements d'Esterhazy et de du Paty de Clam, lorsque Zola a affirmé, sans donner de preuves - il n'en avait pas -, que le véritable traître (Esterhazy) avait été acquitté "par ordre", afin de sauvegarder le complot ourdi par du Paty de Clam contre Dreyfus. Il faut dire que Zola n'était pas seul à lier la reconnaissance de l'innocence de Dreyfus à celle de la culpabilité d'Esterhazy: la stratégie, compréhensible mais regrettable, a été adoptée indépendamment à la fois par Mathieu Dreyfus et par Picquart, Mais "J'accuse" est allé plus loin dans ce sens, en mettant en relation une illégalité qui ne pouvait être prouvée (l'acquittement par ordre) et l'illégalité probable et prouvable, en principe du moins, de la communication secrète. De plus, des rumeurs provenant de diverses sources laissaient entendre que la note secrètement communiquée, laquelle, selon L'Eclair, constituait une preuve irréfutable de la culpabilité de Dreyfus, était en fait sans aucun rapport avec celui-ci (ce qui allait s'avérer vrai). Zola s'amuse à banaliser le contenu de la note et son apparition suspecte au tout dernier moment, apparemment sans se rendre compte - ou du moins sans insister là-dessus - des graves questions soulevées par cet épisode sur lequel il passe assez rapidement. A cet égard, la dévalorisation de la responsabilité de Mercier et la promotion de du Paty de Clam sont particulièrement frappantes. Le premier est accusé d'imbécillité et par là même presque excusé: un ministre-général, pas très malin, détourné du droit chemin par l'imagination romanesque de du Paty de Clam se complaisant dans le mélodrame. Certes, l'esprit de corps a emprisonné les collègues et les successeurs de Mercier dans un tissu de mensonges et de demi-vérités qu'ils n'avaient pas eux-mêmes fabriqués; rien ne laisse supposer, toutefois, que Mercier ait été un sot, ou qu'il ait agi sous l'emprise de du Paty de Clam: ce dernier, pour sa part, était sans doute cruel, trop zélé et débordant d'imagination, mais il n'était ni fou, ni surtout assez puissant pour machiner à lui seul les affaires Dreyfus, Picquart et Esterhazy. En somme, "J'accuse" est en partie responsable de l'enchevêtrement du premier procès Dreyfus dans un tissu de complications qu'il a été difficile de débrouiller par la suite; en même temps, la lettre ouverte, à la différence des autres écrits de Zola sur l'Affaire, tend à diminuer l'importance de celle-ci en la présentant comme l'invention absurde d'un esprit malade.
Plusieurs raisons expliquent la promotion de du Paty de Clam au rang de mauvais génie principal. Tout d'abord, il est évident que Zola a été moralement scandalisé par le témoignage de Forzinetti concernant la conduite de l'enquêteur. Tout ce qu'on savait de du Paty de Clam correspondait, au demeurant, à l'image type du comploteur malveillant et diabolique. Et on lui attribuait d'autant plus facilement le premier rôle que l'on ignorait à peu près tout des activités en coulisse des autres personnages du drame. En fait, comme il l'a révélé dans un article écrit quinze mois après"" J'accuse" ("Justice", 5 juin 1899), Zola s'était douté de la vérité. Il convient de citer un court extrait de cet article, car le passage en question constitue, en quelque sorte, un j'accuse de "J'accuse":
Et, maintenant, qu'on la relise, ma pauvre lettre. J'en suis devenu un peu honteux, je l'avoue, honteux de sa discrétion, de son opportunisme, je dirais presque de sa lâcheté. Car, puisque je me confesse, je puis bien reconnaître que j'avais beaucoup adouci les choses, que j'en avais même beaucoup passé sous silence, de celles qui sont connues, avérées aujourd'hui, et dont je voulais douter encore, tellement elles me semblaient monstrueuses et déraisonnables. Oui, je soupçonnais Henry déjà, mais sans preuve, à ce point que je crus sage de ne pas même le mettre en cause. Je devinais bien des histoires, certaines confidences étaient venues à moi, si terribles, que je ne me sentis pas le droit de les risquer, dans leurs effroyables conséquences. Et voilà qu'elles sont révélées, qu'elles sont devenues la vérité banale d'aujourd'hui! Et voilà que ma pauvre lettre n'est plus au point, apparaît comme tout à fait enfantine, une simple berquinade, une invention de romancier timide, à côté de la superbe et farouche réalité ! (10)
Zola laisse entendre que "J'accuse" n'était pas suffisamment audacieux, qu'il accusait le moindre coupable par peur d'accuser le vrai. Pour des raisons parfaitement honorables, c'est-à-dire parce qu'il hésitait à exprimer publiquement des soupçons qu'aucune preuve n'appuyait, Zola n'a pas identifié le(s) vrai(s) coupable(s). Pourtant, il était trop en colère pour se taire complètement, et ainsi il a donné libre cours à sa fureur en s'en prenant à l'enquêteur, personnage d'importance secondaire, dont les manigances extraordinaires avaient bien quelque chose de diabolique. Il s'agissait moins de trouver un bouc émissaire tout indiqué, ou de substituer un comploteur à un autre, que de faire d'un désir une réalité, en démontrant que tout le cauchemar était la création d'une personnalité mentalement instable, que la monstrueuse injustice nationalement sanctionnée n'impliquait rien de plus qu'un acte irrationnel dû aux aberrations d'un seul homme, du Paty de Clam, et commis à l'insu de la nation. Une fois exposées pour ce qu'elles étaient, ces aberrations horrifieraient une société fondamentalement rationnelle et humaine: ce serait alors la fin du cauchemar. Le rôle et les mobiles d'Henry étaient, eux, d'une tout autre nature, infiniment plus problématique, car Henry était, au dire de tous, un homme indiscutablement sain d'esprit qui avait risqué tout pour que Dreyfus reste sur l'île du Diable et que la voix de Picquart soit étouffée.
Curieux mélange d'audace et de timidité, " J'accuse " est le seul des articles de Zola sur l'Affaire à mettre l'accent exclusivement sur l'identité du coupable. Même Vérité, malgré son intrigue compliquée qui reflète assez bien les rôles et les responsabilités individuels des acteurs de l'Affaire réelle, tout en la déplaçant dans le milieu scolaire, se préoccupe avant tout de forces plus vastes - forces sociales, politiques et morales. Ces forces déterminent les événements et expliquent, jusqu'à un certain point, les actes irrationnels, en apparence, d'individus et de groupes. Ici, l'observateur analyste chez Zola travaillait sur un terrain familier, et sa conviction que cette plus grande Affaire révélait "une débâcle morale" dans l'histoire interne de la démocratie républicaine n'a rien perdu de son intérêt. Elle fournit un rectificatif utile à l'habitude paresseuse que l'on a de considérer une grande partie de l'histoire française en fonction du rouge et du noir, du conflit entre la gauche et la droite, entre les forces révolutionnaires et réactionnaires. La menace profonde qui pesait, selon Zola, sur le libéralisme et la démocratie ne provenait pas de forces réactionnaires prêtes à exploiter la situation en vue de renverser le régime, quoique cette menace ait été bien réelle. Elle provenait de l'intérieur, de la politique de survie poursuivie par la République, politique de durée pure, comme le comprenait Péguy ,(11) ayant pour objet de se maintenir au pouvoir coûte que coûte, même au prix d'un renversement idéologique, de l'abandon des idéaux et des traditions propres à la République, de sa véritable raison d'être.
Avant l'Affaire, les relations qu'entretenait Zola avec la troisième République étaient celles d'un amant déçu qui reprochait à Marianne de ne pas avoir tenu ses promesses ; mais, au fond, l'amant était confiant qu'elle évoluerait avec le temps, qu'elle grandirait. L'Affaire a détruit cette confiance ; non pas la confiance dans l'idéal républicain et les institutions parlementaires, mais dans le pouvoir actuel qui dégradait cet idéal et rendait nécessaire la protestation et l'action extra-parlementaires. Les lettres ouvertes successivement adressées au président Faure, au président du Conseil Brisson, au Sénat et au président Loubet témoignent d'un sentiment croissant de désillusion chez Zola. Bien que la première de ces lettres ("J'accuse") se termine par un défi lancé au gouvernement, celui-ci étant invité à traduire l'auteur devant le tribunal, elle renferme en même temps un appel sincère à la conscience du président de la République (12). Six mois plus tard, le 16 juillet 1898, le romancier s'est adressé ainsi à Brisson, en qui il avait placé ses espoirs:
Vous incarniez la vertu républicaine, vous étiez le haut symbole de l'honnêteté civique [...]. Spectacle lamentable, la fin d'une vertu, cette faillite d'un homme en qui la République avait mis son illusion, convaincue que celui-là ne trahirait jamais la cause de la justice, et qui, dès qu'il est le maître, laisse assassiner la justice sous ses yeux! Vous venez de tuer l'idéal. C'est un crime (13).
Il avait déjà dépeint le triste tableau des députés de la République paralysés par peur de l'opinion publique, et par conséquent réduits au silence et à l'inaction:
Pas un homme de nos Assemblées n'a eu un cri d'honnête homme, tous sont restés muets, hésitants, prisonniers de leurs groupes, tous ont eu peur de l'opinion, dans la prévision inquiète sans doute des élections prochaines. Ni un modéré, ni un radical, ni un socialiste, aucun de ceux qui ont la garde des libertés publiques ne s'est levé encore pour parler selon sa conscience. Comment voulez-vous que le pays sache son chemin, dans la tourmente, si ceux-là même qui se disent ses guides se taisent ? (14)
Dans ce texte, deux détails méritent tout particulièrement l'attention. D'abord, les parlementaires visés ne sont pas des conservateurs mais des libéraux, des radicaux et des hommes de gauche dont Zola avait attendu qu'ils protestent. Ensuite, les députés silencieux sont présentés comme des hommes qui savent que tout ne va pas bien, mais qui étouffent la voix de leur conscience, à cause des prochaines élections.
Pourquoi les représentants du peuple avaient-ils tellement peur del'électorat ? La réponse est aussi simple que stupéfiante : l'antisémitisme. Avant son engagement dans l'Affaire, Zola aurait peut-être été tenté de minimiser de telles craintes. Il n'ignorait pas l'existence d'une certaine judéophobie - ce qui aurait été difficile -, et il se rendait compte aussi - ce qui était plus exceptionnel - des implications de la haine pour les Juifs dans les temps modernes. Dans un article de mai 1896 ("Pour les Juifs"), il dénonçait en termes explicites la monstruosité raciste cachée derrière la vieille façade religieuse et économique : c'était "la plus monstrueuse des folies (15)", dans une ère de tolérance et de démocratie. Cependant, l'identification du mal allait de pair avec la conviction que le mouvement antisémite était voué à l'échec en France, faute de racines populaires. Toujours prêt à s'attendre au pire de la part de la bourgeoisie capitaliste, il croyait que les classes moyennes pouvaient être momentanément tentées par l'antisémitisme, tant qu'elles se sentiraient inférieures à la longue expérience qu'avaient les Juifs en matière d'argent. A ses yeux, cependant, tout prouvait qu'elles apprenaient vite à tenir tête à leurs maîtres et rivaux juifs dans un sain esprit de compétition. Il faut remarquer au passage que cette curieuse solution capitaliste de la " question juive ", et l'image de respect mutuel à la Bourse qu'elle évoque, représente une réécriture de L'Argent (1891) roman apprécie, non sans raison, dans les milieux antisémites, et que Zola dreyfusard a bien pu regretter. Le véritable espoir, cependant résidait dans le peuple, force vitale de la société, non corrompue progressiste, instinctivement juste et raisonnable. Le peuple était beaucoup trop sensé pour se laisser entraîner dans un conflit raciste prêché par "une poignée de fous, d'imbéciles ou d'habiles (16)".
La découverte, peu après, d'une judéophobie collective, profondément enracinée, virulente et facilement exploitable - "le poison est dans le peuple" commentait-il avec beaucoup de tristesse en décembre 1897 (17) -, a stupéfié Zola. C'est là le plus grand choc de son expérience dreyfusarde, peut-être même de sa vie tout entière. Et l'angoisse qu'ont suscitée chez lui les manifestations anti-juives populaires a été renforcée par le spectacle du mouvement antisémite parmi les étudiants. Les enfants de la République, élevés dans un pays libre, l'espoir de l'avenir, étaient contaminés par le même poison :
Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude pour le vingtième siècle qui va s'ouvrir ! [...l Ils sont les ouvriers attendus, et voilà déjà qu'ils se déclarent antisémites, c'est-à-dire qu'ils commenceront le siècle en massacrant tous les juifs, parce que ce sont des concitoyens d'une autre race et d'une autre foi (18)"
A de rares exceptions près - les noms de Péguy et de Bernard Lazare, lui-même Juif, viennent immédiatement à l'esprit -, peu de contemporains osaient penser et encore moins écrire de telles choses. L'antisémitisme était généralement un sujet tabou (en dehors des groupes antisémites); on s'interdisait surtout de l'évoquer en parlant de l'Affaire. D'où la difficulté qu'a eue Zola à obtenir que Le Figaro( publie le premier des articles ("Procès-verbal "), dans lequel ce lien est établi sans équivoque. Se rendant compte que sa franchise était inacceptable même pour la presse libérale, il a décidé de publier en brochure les deux lettres suivantes, la Lettre à la jeunesse (citée ci-dessus) et la Lettre à la France (6 janvier 1898) (19). Même les dreyfusards avaient tendance à diminuer l'impact possible de l'antisémitisme sur les événements, soit par conviction, soit pour des raisons tactiques, soit encore parce qu'il s'agissait d'un sujet déplaisant et pénible. C'était là la position de Scheurer-Kestner et de Mathieu Dreyfus, ainsi que celle de la communauté juive en général. Zola, pour sa part, était persuadé que la question juive, définie par Drumont comme un problème racial, se trouvait au c?ur de l'Affaire, et que l'on devait s'y attaquer de front, sinon aucun progrès ne serait possible dans la campagne pour la révision. Ce qui le préoccupait, quand il a fait la déclaration consternante que l'Affaire était un crime antisémite (2O), ce n'était pas l'antisémitisme au sommet, dans l'Etat-Major ou au gouvernement; il s'agissait d'une pression venant du bas. Bien sûr, les préjugés étaient fort répandus dans les milieux militaires, mais, comme Bernard-Lazare l'avait déjà expliqué avec force, l'armée devait avoir à sa disposition d'autres moyens plus commodes pour se débarrasser des officiers juifs si cela avait été l'objectif. Par ailleurs, Drumont avait réclamé une telle purge dans une série d'articles parus peu avant l'Affaire. Les Juifs, selon le journaliste, étaient naturellement, racialement, génétiquement, pour ainsi dire, des traîtres, des descendants de Judas. Dreyfus ne faisait qu'accomplir la destinée de sa race. Une opinion publique fanatisée semblait souscrire à cette thèse et exerçait, à son tour, des pressions sur l'armée (qui avait ses propres raisons pour ne pas souhaiter la révision du procès Dreyfus) et sur le parlement. Zola était profondément conscient de l'importance de contester l'équation Dreyfus = Juif = Judas = traître dans l'intérêt d'une société libre et juste, à la fois dans le court et dans le long terme. L'avenir des Juifs en France, ainsi que celui de la République elle-même, dépendaient de la reconnaissance de l'innocence du capitaine Dreyfus, innocence qu'il fallait établir devant la loi.
Sur le plan politique, les craintes provoquées chez Zola par les événements et par leur dynamique éventuellement désastreuse sont la preuve de sa grande lucidité, même si à cette époque l'idée que la France se dirigeait vers une dictature militaire et cléricale soutenue par l'armée devait paraître aussi extravagante que celle de l'extermination raciale. L'aspect le plus inquiétant des buts inavoués du nouveau parti politique était le succès de sa manipulation des moyens démocratiques - une presse libre, une vox populi mécontente et mal éclairée, des élections parlementaires (Drumont a été élu député en 1898) - dans le but d'assurer le triomphe du totalitarisme par un coup d'état sans effusion de sang. Bref, c'était la fin de la démocratie républicaine, un retour à des temps pré-révolutionnaires, à un état chrétien absolutiste qui ne tolérerait aucune minorité dissidente. La persécution des juifs, première cible traditionnelle et commode, n'était que le commencement. Les francs-maçons, les protestants, les athées, les socialistes, tous les non-conformistes figuraient également sur la liste. Les gardiens parlementaires de la liberté qui se taisaient avaient donc raison de craindre l'opinion publique, en même temps qu'ils avaient criminellement tort de s'y soumettre.
Ce cauchemar est longuement exploré dans le monde fictif de Vérité (2l) pour être finalement dissipé par la vision splendide d'une renaissance de la société. Mélangeant la réalité et le rêve, le romancier fait dépendre la réhabilitation de Simon/Dreyfus, après une quarantaine d'années d'emprisonnement, du rationalisme, de la tolérance (cette dernière sévèrement mise à l'épreuve par une tendance anticléricale assez prononcée) et de l'amour de la liberté, inspirés au peuple, de génération en génération, par un seul " honnête homme": Marc est un enseignant de génie, doté d'une patience de saint et possédant la ferveur indomptable de l'apôtre certain de la lumière à venir.
Dans la vie réelle, le temps pressait, et Zola dreyfusard, tel un prophète de malheur, dénonçait plus qu'il n'annonçait, mettant en garde ses concitoyens contre les tragédies qui, selon lui, allaient survenir, s'ils persistaient dans la voie de l'injustice. Qu'il se soit engagé corps et âme dans ce rôle, avec une passion qui s'exaltait au fur et à mesure qu'il constatait les ravages exercés par le fanatisme, la lâcheté et l'égoïsme érigés en raison d'état, est d'autant plus admirable qu'il avait de bonnes raisons, personnelles et artistiques, pour ne pas se laisser entraîner dans la bataille publique et politique.
Cette bataille a bouleversé sa vie d'écrivain. A-t-elle changé ou modifié ses idées ou son écriture ? Cela ne semble pas être le cas. En effet, du point de vue intellectuel et moral, en ce qui concerne les valeurs défendues et les forces combattues, la prise de position de Zola dreyfusard n'a rien d'extraordinaire, ni par rapport à l'oeuvre littéraire précédant l'affaire (Les Rougon-Macquart et Les Trois villes) ni, et à plus forte raison, par rapport aux évangiles, contemporains de la crise et de son prolongement, où l'écrivain donne libre cours à son rêve de la cité idéale de l'avenir (Fécondité, Travail et Vérité).
Ce qui est nouveau, et exceptionnel, dans la révolte du dreyfusard, c'est le passage de la parole à l'acte, acte qui, déclare-t-il dans J'accuse, "n'est qu'un moyen révolutionnaire pour hâter l'explosion de la vérité et de la justice" (22) Hélas, l'explosion attendue ne s'est pas produite. De là la profonde tristesse et l'ahurissement de la part d'un esprit généreux et rationnel se trouvant plongé tout d'un coup dans un monde de la déraison. L'Affaire a été un grand choc pour le Français qu'était Zola. A propos du verdict de Rennes condamnant Dreyfus une seconde fois (9 septembre 1899), il s'écrie :
"je suis dans l'épouvante. Et ce n'est plus la colère, l'indignation vengeresse, le besoin de crier le crime, d'en demander le châtiment, au nom de la vérité et de la justice ; c'est l'épouvante, la terreur sacrée de l'homme qui voit l'impossible se réaliser... Quand on aura publié le compte rendu in extenso du procès de Rennes, il n'existera pas un monument plus exécrable de l'infamie humaine... Il y a là dedans des aveux de notre bassesse dont l'humanité entière rougira. Et c'est bien cela qui fait mon épouvante, car pour qu'un tel procès ait pu se produire dans une nation, pour qu'une nation livre au monde civilisé une telle consultation sur son état moral et intellectuel, il faut qu'elle traverse une horrible crise. Est-ce donc la mort prochaine ? et quel bain de bonté, de pureté, d'équité nous sauvera de la boue empoisonnée où nous agonissons ?" (23)
De tels cris d'angoisse ne sont pas rares dans ses lettres personnelles ainsi que publiques après J'accuse. S'il continue à s'adresser aux autorités, ce n'est plus dans l'espoir de les ébranler mais, explique-t-il, simplement pour l'honneur de protester contre des lois destinées à étrangler la vérité (Lettre au Sénat). Avant peu, une fois la loi d'amnistie votée (décembre 1900), conscient de l'échec de son acte dans le contexte immédiat, reconnaissant son impuissance devant les soi-disant raisons d'Etat et devant une opinion publique qu'il n'a pas su éclairer, Zola cesse de protester pour retourner à ses livres, à son métier d'écrivain. A vrai dire, il n'a jamais quitté ses livres puisque tout au long de l'Affaire, pendant les mois sombres de l'exil et au milieu des multiples déceptions qui ont suivi - Rennes, la grâce, la remise de ses procès de semaine en semaine, l'amnistie, les divergences entre anciens frères d'armes - il a continué d'écrire, de bâtir sa cité idéale. Celle-ci est superbement réalisée dans Vérité, où le héros accomplit à travers plusieurs générations ce que Zola avait espéré accomplir d'un seul acte révolutionnaire. Ajoutons que si la réhabilitation réelle du capitaine Dreyfus en 1906, quatre ans après la mort de Zola, ne possède ni la splendeur ni l'importance de la version fictive (dépeignant le pays uni autour de la victime libérée et acclamée, célébrant dans une immense fête populaire le triomphe de la justice), la postérité tend à la considérer, dans sa signification morale et historique, du point de vue du romancier. Et elle a raison.
Notes
1.-
Cette étude est une adaptation de deux textes,
légèrement différents, parus dans (1) le Bulletin
of the Emile Zola Society (Institut français, Londres) No. 3
(1991), p. 3-9 ; (2) La Correspondance d'Emile Zola, Vol. IX , (1993),
p. 65-78, Les Presses de l'Université de Montréal.
2.- La Vérité en marche, O.C., t. XIV, p. 921.
3.- F. Puaux, Vers la justice (préface de G. Monod), Fischbacher, 1906, p. v.
4.-
Ch. Péguy, Oeuvres en prose complètes, éd. R.
Burac, t. III, Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade",
1992, p. 120-121.
5.-
Ch. Péguy, Oeuvres en prose complètes, éd. Burac,
t. I, Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", 1987, p.
244-246. Pour l'indignation de Péguy provoquée par le
refus du parti socialiste de soutenir la protestation de Zola, voir,
dans le même volume, p. 45-46, 50-55, 1557-1560.
6.- O.C., t. XIV, p. 884, 885.
7.- Ibid., p. 884.
8.-
Selon Reinach (Histoire de l'Affaire Dreyfus, t. 2, 1930 [1902], p.
680) c'est au cours d'un diner chez les Daudet que Zola a entendu
Léon Daudet faire le récit de la cérémonie
de la dégradation. L'article de ce dernier à ce sujet a
paru dans Le Figaro du 6 janvier 1885. Sans préciser l'occasion
ou le nom de Léon Daudet, Zola confirme l'essentiel de
l'affirmation de Reinach dans "Impressions d'audiences" O.C., t. XIV,
p. 1108.
9.-
J. Jaurès et J. Guesde, Les Deux méthodes, Editions de la
Liberté, 1945, p. 12 : Les paroles attribuées à
Guesde, en présence de ce dernier au cours d'une
conférence-débat, n'ont pas été
niées par le leader marxiste.
10.- O.C., t. XIV, p. 954.
11.- Ch. Péguy, ?uvres en prose complètes, t. III, op. cit. p. 15-20, 1149-151.
12.-
En fait, Faure était mieux informé et surtout moins
troublé par ce qu'il savait que ne semblait le croire Zola.
13.- O.C., t. XIV, p. 941-942.
14.- "Procès-verbal", 5 décembre 1897 (O.C., t. XIV, p. 901).
15.- O.C., t. XIV, p. 779.
16.- Ibid., p. 783.
17.- Ibid., p. 899.
18.- "Lettre à la jeunesse", 14 décembre 1897 (O.C., t. XIV, p. 907-908).
19.-
Au moment de "J'accuse", il avait gagné le soutien de L'Aurore,
qui venait d'être fondé.
20.- "Lettre à la France" (O.C., t. XIV, p. 916-917).
21.-
Voir à ce sujet N. Wilson, "La Mise en fiction de l'affaire
Dreyfus" dans "Il Terzo Zola. Emile Zola dopo i "Rougon-Macquart",
éd. G.C. Menichelli, Naples, Istituto Universitario Orientale,
1990, p. 487-503.
22.- O.C., t. XIV, p. 931.
23.- Ibid., p. 959, 961.
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